24 août 2015

Jack., Vil Pachyderme

Jack.
 Nouvelle de Vil Pachyderme

Jack était un homme étrange, si l'on s'en référait aux critères de notre société. Il parlait moins qu'il ne buvait, et il avait cette sale manie de n'ouvrir la bouche que pour vomir des méchancetés et des flaques d'alcool mal digéré. Quand il parlait, c'était la noirceur de notre monde qui s'exprimait. Et quand il buvait, c'était probablement pour la faire taire. Mais il n'y arrivait pas, parce que la noirceur ne quittait plus son regard, et qu'il suffisait de fixer le fond de ses yeux une petite seconde pour sentir une haine profonde envers l'humanité toute entière.

Pourtant, il émanait de ce personnage les traces d'une bonté hors du commun. Mireille, la barmaid de son bistrot préféré - ou en tout cas du bistrot qu'il détestait le moins - m'avait un jour glissé à l'oreille qu'il avait été une perle de joie avant d'être une boule de nerfs, un homme doux avant d'être amer, un amant avant de penser qu'elles n'étaient toutes "que des salopes".
J'ai entendu un tas d'autres rumeurs à son sujet, au fil du temps. Il aurait été un chic type pendant longtemps, apprécié de tous pour sa bonne humeur et sa foi en l'Humain. Puis, du jour au lendemain, il était arrivé au bar avec la ferme intention de ne plus jamais être heureux, content, et de ne plus jamais aimer qui que ça soit. Pas même lui.
Mais Jack ne parlait jamais de ce temps là. Il n'aimait plus le passé, les souvenirs et les histoires. Pas plus qu'il n'aimait désormais les femmes, les enfants, les Noirs, les Blancs, les Juifs, les homos... Je ne sais même pas s'il aimait encore quelque chose, en fait. Faut croire qu'il avait tenu sa dernière promesse.

Il se refusait pourtant à mourir, trop fier de lui quand il se faisait virer à grand renfort de coups de pieds dans les fesses, gueulant qu'il payait pour boire et qu'il aurait du avoir le droit à un autre verre. Tellement fier de ses conneries, le Jack. Tellement fier de faire chier le monde.
Mais refuser de mourir n'empêche pas la Grande Encapuchonnée de venir nous faucher un jour ou l'autre. Dans son cas, ce fut en fait un soir. Alors qu'il errait au gré des ruelles sombres de la capitale, elle le faucha avec un semi remorque. C'est con, mais même en voyant double, il n'avait pas réussi à apercevoir le camion.

Je n'ai jamais su pourquoi Jack était comme ça, tout plein de rage et de méchanceté, alors qu'on disait tant de bien de la personne qu'il avait été. Mais si vous voulez mon avis, il était la preuve que même les cœurs les plus généreux peuvent être massacrés au point qu'il ne veulent plus croire en leur propre force.

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